Science & Vie, 1951_AAM

C’est la pièce de la maison où, en un siècle, les innovations ont été les plus importantes, répondant à l’évolution des technologies et à l’art de vivre. Chaque année, des salons et expositions lui sont consacrés et accueillent des centaines de milliers de visiteurs. Habitués aux magnifiques installations dans les vitrines des grands magasins, les expositions, les revues et les livres, on finit par oublier que la cuisine actuelle est le fruit d’une évolution commencée il y a un siècle.

The Lady Maid Cabinet_Circa

L’exposition propose un itinéraire illustré de dessins originaux, de photographies, d’objets et de reconstitutions grandeur nature abordant les différents types de cuisines : celles des cités-jardins, des villas bourgeoises, des appartements et des lofts. Le point de départ est la cuisine 1900, où tout s’organisait autour du fourneau à charbon ; le point d’arrivée est la cuisine contemporaine, reflet d’un nouvel art de vivre.

La cuisine belle époque, installée au sous-sol, est suivie par l’apparition du mobilier Tout en Ordre de la cuisine des années 20. La cuisine-laboratoire des années 30 donne naissance en Belgique aux éléments standardisés Cubex. Après la guerre et le boom des équipements ménagers, la cuisine américaine fait son entrée. De belles créations contemporaines - panoramiques, ouvertes, modulables, déplaçables, îlots de cuisine, grandes cuisines familiales - et autres visions du futur sont installées dans l’exposition.

Le Corbusier, 1950_Marseille_France

Cuisine Tout-en-Ordre_Circa

En-dehors de la Belgique, de nombreux exemples étrangers sont illustrés, y compris la reconstitution d’un appartement de la Cité Radieuse de Marseille (1949) dont la cuisine est signée Le Corbusier et Charlotte Perriand. Quatre autres cuisines sont restituées à l’échelle grandeur : la cuisine des arrière-grands-parents, la cuisine Cubex de 1930, une cuisine américaine et une cuisine futuriste. L’exposition est complétée par une galerie de portraits d’une cinquantaine de personnalités belges célèbres ou anonymes, photographiées dans leur cuisine. Pour les  enfants, l’exposition comporte une section consacrée aux cuisines-jouets et est accompagnée d’ateliers.

Cuisine Rietveld_Circa_AAM

La cuisine des arrière-grands-parents  
La cuisine avant la cuisine : une pièce à tout faire, souvent la seule chauffée et embuée en hiver. On y prépare les repas, mange, lit le journal, fume, tricote, joue aux cartes, les enfants y font leurs devoirs, les grands-mères mettent les confitures en pots… L’exposition présente une reconstitution grandeur nature d’une cuisine 1900 avec fourneau et ustensiles.

La cuisine de la maison de ville en 1900
Le plus souvent installée en sous-sol. Côté rue, elle est éclairée par une étroite cour anglaise, côté jardin elle ouvre sur une cour basse. A proximité des caves, de la chaufferie et de la buanderie, elle est accessible par un escalier de service. La cuisine est reliée à l’office du bel étage (qui désigne le rez-de-chaussée surélevé) par un monte-plat. Son fonctionnement repose sur la présence de personnel de maison.

Cuisine Intégrale_Maison française_AAM

La cuisine de la villa bourgeoise avant 1914
Située au rez-de-chaussée, de plain-pied avec la salle à manger, la cuisine est une pièce spacieuse éclairée naturellement et s’ouvrant sur le jardin. L’évier est placé devant la fenêtre et la cuisinière devant un mur surmonté d’une hotte en verre.  Une des cuisines les plus élaborées est celle du Palais Stoclet situé avenue de Tervuren, à Bruxelles, et construit par l’architecte autrichien Josef Hoffmann en collaboration avec les Ateliers d’Art Viennois (Wiener Werkstätte) de 1905 à 1911.

Lucky-man_Idéal-Home, 1957

La cuisine dans les maisons à bon marché
Au lendemain de la première guerre, les architectes vont se passionner pour la recherche de solutions de logements petits mais confortables, à l’exemple des architectes Antoine Pompe et Fernand Bodson qui inventent une cuisine pour les mineurs du Limbourg et expérimentent à Uccle une cuisine associée à la salle de bain, de façon à disposer d’un même réservoir d’eau chaude.

Louis-Herman De Koninck_Cubex-Ciam_AAM

« Tout en ordre »
Pendant la guerre, de nombreuses femmes ont intégré le monde du travail, avec pour conséquence qu’après le conflit, elles passent moins de temps à la cuisine et que les repas s’allègent. Les fabricants répondent à cette attente de rationalisation en mettant sur le marché du mobilier de cuisine fonctionnel et fabriqué en série. Les ingénieurs mettent au point de nouveaux fourneaux moins salissants et demandant moins d’entretien. Ils fonctionnent à l’anthracite, au gaz, à l’électricité ou même à l’huile. La construction d’immeubles à appartements exige aussi du mobilier plus pratique que les anciens buffets et les meubles hétéroclites. En Belgique le mobilier « Tout en Ordre », qui permet de ranger dans une seule armoire tout ce qui est utile dans une cuisine, rencontre alors un grand succès.

Cuisine Cubex, 1956_AAM

La cuisine standardisée CUBEX
Inventée à la fin des années 20 par l’architecte L.-H. De Koninck, un prototype de la cuisine Cubex est exposé au Palais des beaux-arts de Bruxelles en 1930 lors du deuxième Congrès international d’architecture moderne (CIAM). La cuisine CUBEX est composée de casiers assemblables et modulables. Elle sera produite industriellement à partir de 1932 et diffusée par les Établissements J. Van de Ven. Elle intègre les nouveaux équipements ménagers comme les éviers en métal embouti, les frigidaires… La cuisine Cubex équipera de très nombreux appartements, maisons et villas pendant plus d’une trentaine d’années.

Cuisine Wrighton, 1970_AAM

Les cuisines modernes de l’entre-deux-guerres
Les architectes modernistes vont progressivement imposer l’image de la cuisine à l’image d’un laboratoire où les mets sont préparés d’une manière scientifique. La ménagère se trouve transformée en élégante laborantine en tablier blanc et gants synthétiques. Progrès pour les uns, promotion déguisée de la femme au foyer pour les autres. Les architectes dissèquent les gestes de la ménagère pour dessiner des cuisines performantes. L’architecte Jean Delhaye a ainsi décomposé le processus du lavage de la vaisselle :

Cuisine Sixties Pop_AAM

La Cité radieuse de Le Corbusier et Charlotte Perriand
La cuisine créée en 1949 par Le Corbusier et Charlotte Perriand pour la Cité radieuse de Marseille, apporte des innovations qui seront reprises par tous les architectes. Dérogeant à la réglementation, la cuisine est installée pour la première fois à l’intérieur de l’appartement, sans fenêtre directe sur l’extérieur. Située à proximité de l’entrée, elle se présente comme un lieu semi-ouvert sur le living, avec une ouverture permettant de passer les plats et la vaisselle située sous le plateau du bar. La personne qui fait la cuisine participe à la vie de famille, aux dîners entre amis. « À la ménagère, écrit Charlotte Perriand, d’avoir le sens de l’ordre comme un barman, et aux ingénieurs d’assurer une parfaite aspiration des odeurs et des fumées ». Une maquette d’un appartement de l’Unité d’habitation de Marseille (326 cuisines fabriquées en série), est réalisée d’après un exemplaire d’une cuisine originale qui fait partie des collections des Archives d’Architecture Moderne.

Joe Colombo_Minikitchen

La cuisine américaine
Le concept de la cuisine américaine est lié aux performances des hottes aspirantes. La maîtrise des odeurs et des buées permet d’ouvrir directement la cuisine sur la pièce de séjour dont elle est séparée par un bar où l’on prend le petit déjeuner ou l’apéritif assis sur des tabourets. Avec l’engouement des salons des Arts Ménagers, la cuisine américaine s’impose en Europe après la seconde guerre mondiale. Elle intègre les deux éléments de base de l’art de vivre américain : le réfrigérateur et le lave-vaisselle.

Sheer_Machine à cuisiner_Italie

Zaha Hadid_Kitchen

La cuisine du futur

Elle hésite entre la sophistication technologique et le retour aux sources. Une enquête récente réalisée par IKEA indique qu’en 2006, la cuisine est devenue la pièce la plus importante de la maison après le living. Elle détrône la salle à manger. Plus de 52% des personnes interrogées y mangent, 35% y discutent en famille, 19% y reçoivent leurs invités, 14% y regardent la télévision. Si, d’une part les éléments qui composent la cuisine deviennent de plus en plus sophistiqués (par exemple le réfrigérateur avec écran plat de télévision intégré dans la porte) la tendance est au retour à la cuisine comme pièce à tout faire. A l’esthétique unitaire on préfère souvent l’éclectisme. La boucle est ainsi bouclée et on assiste à une renaissance de la cuisine conviviale des grands-parents, mais cette fois avec un niveau de confort maximum. Certains architectes poussant l’amour de la gastronomie et la passion automobile à l’extrême proposeront des habitations où la cuisine est séparée du garage par une simple cloison vitrée-Island, 2006_Leo Torri_Dupont Corian